Des espaces pour se tester avant de se lancer

 

Sur le territoire du Groupe d’Action Locale Pays des Condruses, il existe un lieu où il est possible de tester son activité agricole avant de se lancer, tout en étant accompagné par des professionnels. Un bon moyen d’expérimenter, et de découvrir si son projet tient la route avant de débuter son activité de maraîchage/horticulture.

LE PROJET

En 2013 a été inauguré, au cœur du Condroz liégeois, l’Espace-test Point Vert. Un Espace-test, c’est un lieu où des terres sont mises à disposition de porteurs de projets désireux de se lancer en maraîchage ou en horticulture, et qui ressentent le besoin d’expérimenter la viabilité de leur projet.

L’objectif de départ du projet ? « C’était de faciliter l’installation de maraîchers sur le territoire en sachant que la Coopérative Point Ferme venait d’être créée (2011) » explique Kathleen Vanhandenhoven, chargée de mission économie au GAL Pays des Condruses. Si la coopérative Point-Ferme permettait de vendre des produits locaux aux ménages du territoire, il était important que la coopérative puisse être fournie en produits locaux, et donc d’encourager l’installation d’agriculteurs dans la région. Un autre élément a favorisé la création du projet : « L’asbl Devenirs, organisme de formation, qui donne une formation en maraîchage et horticulture, faisait le constat que très peu de leurs stagiaires passaient le pas de l’installation, poursuit Kathleen. Un des freins à l’installation est justement l’accès à la terre ». L’Espace-test allait donc pouvoir donner un coup de pouce à ces jeunes désireux de s’installer, tout en les accompagnant lors de leurs débuts.

Car un Espace-test, ce n’est pas simplement fournir un terrain d’expérimentation pour des personnes désireuses de se lancer. C’est également fournir tout un accompagnement aux porteurs de projets : Devenirs asbl propose un suivi technique, CreaJob propose un accompagnement dans la création d’entreprise (notamment via le système de couveuse), enfin le Centre des Technologies Agronomiques aide également les maraîchers au niveau du travail du sol.

C’est grâce au GAL Pays des Condruses, et à son réseau élaboré au fil des ans, que tous ces acteurs ont pu être mobilisés : « C’est parce qu’il y avait le GAL que la Commune [NDLR : de Modave] a mis le terrain à disposition du projet, précise Kathleen Vanhandenhoven. C’est vraiment le GAL qui est porteur du projet au niveau de la coordination, de la communication, de la certification bio, des permis nécessaires pour installer les serres et pour l’aménagement du terrain, et qui a regroupé les partenaires autour du projet. »

Se lancer traditionnellement c’est tout simplement impossible. En Belgique, on cherche depuis longtemps, les fermiers et les communes ne lâchent rien. Les prix sont élevés. Des petites parcelles il n’y en a pas.

Juan

C’est notamment le cas pour Juan et Juliette, qui peinent à trouver un terrain sur lequel s’installer. C’est d’ailleurs l’un des principaux freins en Wallonie pour l’installation de jeunes agriculteurs : « Se lancer traditionnellement c’est tout simplement impossible, déplore Juan. En Belgique, on cherche depuis longtemps, les fermiers et les communes ne lâchent rien. Les prix sont élevés. Des petites parcelles il n’y en a pas. » Beaucoup de parcelles, au moment d’être cédées, sont rachetées par de plus grosses exploitations, qui accumulent les surfaces, et rendent l’installation de jeunes agriculteurs extrêmement difficile, même lorsqu’ils sont aussi avancés dans leur projet que Juan et Juliette. « On va revenir au Moyen-Âge où tout appartient à une poignée d’hommes… » regrette Juan.

« On a la chance d’avoir un espace test qu’on peut renouveler parce qu’ils sont conscients du problème d’accès à la terre, souligne Juan. C’est frustrant parce qu’on a envie d’avancer, de trouver notre terrain et d’évoluer. Mais ce n’est pas possible. » Et quand on lui demande comment on pourrait résoudre le problème, Juan imagine : « Par commune, il devrait y avoir X % de terres dédiées à la nourriture, notamment au maraîchage bio sur petites surfaces. Par ce que ça aussi, c’est un problème, on n’est pas du tout pris au sérieux par les fermiers. On n’a pas de machines, pas de tracteurs, on n’a pas tous leurs jouets… Il y a un respect car ils savent qu’on travaille dur, mais on n’est pas comme eux donc ce n’est pas évident. »

D’une manière plus générale, de nombreux porteurs de projets décident de s’installer après leur passage à l’Espace-test : « Plus de 50% s’installent mais il y en a aussi qui arrêtent, explique Kathleen. C’est le but aussi de l’Espace-test, tester la viabilité, tester que c’est un mode de vie qui convient car le métier de la terre est un métier très exigeant. Où il faut faire face aux aléas climatiques, la rentabilité n’est pas toujours au rendez-vous. »

L’un des points forts de l’Espace-test Point Vert, c’est qu’il regroupe une variété de projets, et pas uniquement du maraîchage, ce qui permet également de ne pas mettre les porteurs de projets en concurrence directe : pépinières, tisanières, mais aussi production de semences. L’aspect innovant des projets est évidemment un plus pour le GAL Pays des Condruses. 

Parmi les porteurs de projets actuellement hébergés chez Point-Vert, Juan et Juliette : un couple de trentenaires qui ont lancé leur activité de maraîchage bio il y a 3 ans. « On a 70 ares au total de plein champ, trois serres qu’on utilise pour la culture sous serre et une petite pépinière » explique Juliette. Ils ne sont pas issus directement du monde agricole, mais après diverses expériences, notamment dans la mode pour Juliette, ils ont décidé de se lancer dans un projet de maraîchage. « J’ai fait ma formation chez Devenirs il y a 7-8 ans et puis je suis parti en voyage, raconte Juan. J’ai fait pas mal de pays, où j’ai bossé dans des fermes (…) Ça m’a appris pas mal de choses (…) Ce n’était pas vraiment des modèles pour moi, mais d’une certaine façon si. Je suis rentré en Belgique et on s’est rencontrés avec Juliette. Au départ, on a voulu s’installer en France mais cela ne s’est pas fait. Les espaces test n’étaient pas très développés en France, en tous cas en Normandie. J’étais toujours sur les mailing listes du GAL, de Devenirs et j’ai reçu un appel à candidatures. On a renvoyé un dossier qui a été accepté, on est rentré en Belgique et c’était parti ! »

Le choix de cultiver du bio s’est tout de suite imposé à eux : « Ça tombe sous le sens, affirme Juliette. Cela ne nous serait jamais venu à l’idée de faire du maraîchage autre que bio. C’est une histoire de conviction et d’éthique. Nous avons envie d’une nourriture saine et propre autant pour l’humain que pour la planète ». Juan complète : « Nous sommes convaincus qu’il est possible d’ouvrir les gens à ça. On a la capacité de le faire, on a un climat permettant d’avoir toutes les saisons, on a la capacité de nourrir les gens sainement. » C’est d’ailleurs un de leur combat au quotidien, rendre le bio accessible à tous, tout en mettant en avant la valeur du fruit de leur travail : « On est tous les deux de milieux assez pauvres et pas habitués à manger bio, précise Juan. J’ai eu du mal avec les prix au départ mais plus je travaillais pour faire mes légumes plus j’avais conscience de la valeur que cela avait. (…) C’est juste une question de priorité. Où met-on son argent ? Au lieu d’avoir des téléphones, de grosses maisons, des télés, … pour nous la base c’est de bien se nourrir, de bien nourrir ses enfants et de participer à une économie locale. » C’est un véritable projet de société qui anime Juan et Juliette.

C’est sans doute grâce à leurs valeurs qu’ils ont réussi à développer leur projet, car se lancer dans le maraîchage n’est pas sans difficultés. S’ils devaient donner des conseils à leurs successeurs ? « Bien se préparer, faire une formation, travailler chez quelqu’un pendant un certain temps, indique Juan. Bosser chez un maraîcher avant de se lancer. Et puis… y aller ! » Juliette ajoute « Cela dépend aussi de ce que la personne cherche. Si la personne s’installe en maraîchage, afin de vendre toutes les semaines, il vaut mieux être en couple ou avec un associé parce que tout seul c’est très dur. (…) Tout seul j’en ai vu plein tomber, (…) c’est trop dur. Et habiter sur place ou dans un environnement de 10-15 km ». Se lancer dans l’agriculture est, sans conteste, un investissement humain énorme, et l’Espace-test permet de le faire en réduisant certains risques (financiers notamment).

Afin de recruter de nouveaux porteurs de projets, l’Espace-test lance régulièrement des appels à projets, mais analyse également les dossiers rendus de façon spontanée. Une fois un projet sélectionné, le porteur de projet reste, en théorie, deux à trois ans, le temps de la couveuse d’entreprise. « Dans les faits, on se rend compte que c’est variable, analyse Kathleen du GAL Pays des Condruses. Certains sont restés moins longtemps. (…) Et puis il y en a pour qui cela prend plus longtemps, le temps de faire leur expérience, de viabiliser leur projet et de trouver le terrain d’installation. (…) On a de la chance d’avoir de la place et donc de ne pas devoir pousser les gens vers la porte. On n’a pas une pression de candidats qui sont là et qui demandent de libérer de l’espace. On peut accompagner les gens jusqu’au terme, jusqu’à ce que leur projet soit suffisamment mûr et viable pour partir. »

L’Espace-test Point vert était le premier lancé par un Groupe d’Action Locale, mais, face au succès de la démarche, ce sont rapidement d’autres GAL qui ont suivi : « Sur base de notre expérience on a été contactés par d’autres GAL, d’autres associations comme l’ADL qui trouvait l’idée intéressante et aurait aimé la dupliquer sur leur territoire. (…) Suite à cela de nouveaux espaces test ont vu le jour, notamment celui du GAL Culturalité (Les Jardins de l’Espinette) et celui de Bruxelles (Graines de paysans). » Rapidement, c’est un véritable réseau d’Espaces-test qui a été créé, permettant de partager bonnes pratiques, éléments administratifs, mais aussi formations. Ce réseau permet de « partager l’expérience, mais aussi les conventions de mise à disposition du terrain, les règlements d’ordre intérieur, … Ce sont des choses qui ont demandé du temps, qui ne sont pas spécialement marrantes à faire, ajoute Kathleen. Puisqu’ils sont là autant les partager et les améliorer ensemble, les appels à projets, … ». Le Réseau des Espaces-test permet également de se faire rencontrer les différents porteurs de projets, et organise des ateliers qui sont mutualisés. Enfin, il a pu se mettre en lien avec son homologue français (Le RENETA). La prochaine ambition du Réseau des Espaces-test ? Travailler pour obtenir plus de reconnaissance, notamment de la part des pouvoirs publics.

Évidemment, un projet d’une telle envergure ne se monte pas sans difficultés. La difficulté principale rencontrée par le GAL Pays des Condruses ? Sans doute l’administratif, notamment l’obtention des permis pour installer les serres. L’un des défis auquel le GAL a également été confronté a été le changement de majorité politique à la commune de Modave : « Il a fallu faire ses preuves quand la majorité a changé, se souvient Kathleen. Au début ils semblaient se demander : « mais pourquoi vous a-t-on donné ce terrain, quelle est la plus-value ? » Ils ne nous le retiraient pas, mais nous faisait bien sentir que, eux, ne l’auraient peut-être pas cédé. Et puis la relation s’est construite au fur et à mesure des années. » Avec une convention qui vient d’être renouvelée pour 15 ans, preuve est faite que la majorité soutient maintenant totalement le projet.

Mais si l’Espace-test a été prolongé de 15 ans, la durée de vie du GAL est quant à elle limitée. Il est donc essentiel de déjà préparer la suite : « Je pense que Devenirs, qui est un partenaire essentiel dans le projet, le reprendra de toute façon, souligne Kathleen. Il y a une pérennité qui sera là. Mais le travail de réseautage et d’ancrage dans son territoire, c’est plutôt le travail du GAL. Donc j’espère vraiment qu’on trouvera des solutions pour pouvoir le maintenir. » Le GAL essaie en outre de répondre régulièrement à des appels à projets complémentaires, comme celui de Vis mon Village de la Fondation Roi Baudoin, qui a permis d’améliorer la convivialité des espaces partagés. « C’est très bien venu comme aide financière mais cela reste ponctuel. On cherche idéalement un soutien qui nous permette de voir les choses plus sereinement à long terme et pour le moment on ne l’a pas » conclut Kathleen.

Enfin, laissons le mot de la fin à nos deux jeunes maraîchers, qui, lorsqu’on leur demande s’ils ont quelque chose à ajouter en fin d’interview nous lancent en rigolant : « Juan et Juliette : on cherche un terrain de 2 hectares sur lequel construire également un logement ! » Espérons que leur appel trouvera rapidement une réponse.

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Ce projet est possible grâce au financement du FEADER, notamment à la Mesure 19 – LEADER (GAL Pays des Condruses) du Programme wallon de Développement rural, co-financée par la Wallonie et l’Europe.

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www.reseau-pwdr.be