Des images pour dévoiler la vie de nos Seniors

 

C’est au travers d’images marquantes, elle-même basées sur des témoignages recueillis durant de nombreux mois auprès des seniors des communes de Gesves, Assesse et Ohey, que le GAL Pays des Tiges et des Chavées a décidé de faire découvrir le quotidien, parfois difficile des personnes âgées en zones rurales. Des images et des témoignages réunis dans un outil d’animation, destiné aux seniors et aux jeunes de la région, afin de sensibiliser, entre autres, à la question de l’isolement de nos aînés

LE PROJET

C’est au cœur de Gesves, dans le hameau de Goyet que nous nous retrouvons en cet après-midi automnale : le rendez-vous est fixé au Foyer Saint-Antoine, une Maison de repos de la région. C’est avec une pointe d’appréhension, comme beaucoup, que nous entrons dans ces lieux : les Maisons de repos évoquent souvent des souvenirs douloureux. Et pourtant, l’accueil chaleureux du personnel mais surtout les sourires qui habillent les visages des résidents rassurent directement le visiteur : nous sommes définitivement dans un lieu à échelle humaine.

Un endroit idéal pour un premier test de l’outil fraîchement sorti des presses pour le GAL Tiges et Chavées, et sa chargée de mission, Fabienne Schins : « Aujourd’hui on a procédé au premier test de l’outil « Seniors et vous », qui est un outil d’animation […] issu de témoignages, qui ont été recueillis en 2018, dans les villages de Gesves, Assesse et Ohey, auprès de personnes âgées, allant de 70 à 95 ans » introduit Fabienne. Ce sont plus de 50 témoignages qui ont été recueillis pendant 6 mois, avec pour objectif de trouver une partie de solution à l’isolement des personnes âgées dans les villages de la région. « Ici on est dans une zone rurale, l’isolement des personnes âgées, surtout des personnes de 80 ans et plus est un défi social important à relever » ajoute Fabienne.

Car si l’isolement des seniors est une problématique assez répandue, elle est amplifiée en zones rurales, où les distances représentent un frein d’importance au maintien du lien social. D’autres projets de Groupes d’Action Locale ont également décidé de s’attaquer au problème par le biais des solutions : assistants de vie pour le GAL Pays des Condruses, ou vélo cargo dans les maisons de repos pour les GAL RoMaNa et Pays de l’Ourthe. Le GAL Pays des Tiges et des Chavées a, quant à lui, choisi l’angle de la sensibilisation, notamment des plus jeunes. Le jeune public, une fois informé et touché par la problématique, peut ensuite commencer à réfléchir à ce qu’il peut mettre en place afin de résoudre le problème.

L’objectif ? « C’était vraiment de faire parvenir la parole authentique, sans tabou des personnes âgées directement dans les quartiers. Et de sensibiliser les personnes qui habitent dans des villages « dortoirs », où il ne se passe pas grand-chose […] d’être attentifs, de regarder un petit peu autour d’eux, après d’éventuelles personnes âgées qu’on ne verrait pas beaucoup sortir, etc., explique la chargée de mission. Utiliser cette parole qui était un peu difficile à entendre et ces témoignages un peu « choc », pour soulever de l’émotion, et dire « voilà une partie de la réalité, des seniors de votre région, que pouvez-vous faire ?  » »

L’outil n’est pas uniquement destiné à un jeune public : il s’agit également de l’utiliser afin de faciliter la prise de paroles de la part des personnes âgées, notamment en Maison de Repos. C’est dans ce cadre que le Foyer St Antoine a accueilli la première animation d’une longue série avec l’outil « Seniors et Nous ». Les résidents, installés en cercle autour d’une table, observent les différents dessins, et choisissent celui qui leur parle le plus. Ils expliquent ensuite ce que le dessin leur inspire, pour enfin découvrir le témoignage qui se cache derrière l’illustration. Au fur et à mesure de la session, les langues se délient et les émotions font surface : heureux ou malheureux, tous les sentiments exprimés sont reçus avec bienveillance par l’animatrice et le groupe de seniors. On a pu le voir lors de ce premier tour de piste : l’outil permet réellement de libérer une parole qui peut parfois sembler taboue aux séniors, comme si, puisqu’ils ne sont pas les plus à plaindre, ils ne se sentaient pas libres d’exprimer ce qui leur pèse dans leur quotidien.

Ça n’a pas toujours été facile. Il a fallu s’installer, prendre un café, faire le tour de la maison, faire le tour du jardin, rester manger avec eux s’il le fallait. Parfois ça prenait des heures et des heures, avant qu’une relation de confiance s’installe. Et que les confidences, leur vie, sortent.

Fabienne

Chargée de mission

Mais l’outil papier n’est pas seul, car malgré les confinements, 2 actrices ont néanmoins pu prendre possession de la thématique et des témoignages, pour en fait une pièce de 40 minutes, qui a été filmée : « Dans l’outil on peut télécharger, via un QR Code, la vidéo de la pièce de théâtre, précise Fabienne. Ce sont 40 minutes de ces témoignages-là, sans arrêt. Et c’est très dur à entendre. […] Donc ce n’est pas une pièce facile à écouter ou à entendre, donc il faut la préparer. Que ce soit pour les seniors, ou pour les enfants. »

Comme pour tous les projets d’un Groupe d’Action Locale, l’une des questions cruciales est la pérennité : un GAL a une durée de vie limitée dans le temps par ses financements, et il est donc indispensable de penser en amont comment les projets peuvent survivre en dehors du Groupe d’Action Locale. Ici, on comprend facilement que tout a été fait pour que les exemplaires puissent être utilisés par des acteurs extérieurs. « Oui, absolument, se réjouit la chargée de mission. Là il va être distribué à toutes les structures possibles et imaginables, l’outil a été fait physiquement de manière solide : il est dans une boîte de carton épaisse, les fiches dessins et témoignages sont en carton, c’est fait pour durer. Tout ce que je suis en train de vous dire est dans le livre, qui est joint. Je n’ai vraiment plus besoin d’être là, c’était prévu pour ça. […] L’outil va avoir sa vie, il va être dans les armoires, des bibliothèques, des écoles, il va ressortir ou pas… Ce sera aux animateurs, aux enseignants et aux responsables de structures de décider s’ils ont envie de ressortir ce jeu-là. » Ce sont 200 exemplaires qui ont été distribués à l’automne, à moitié pour les jeunes et à moitié pour les seniors, tous dans la région du GAL.

Si le projet aurait pu être porté par un CPAS, le GAL a réussi à lui apporter une dimension transcommunale très intéressante, notamment dans la diversité des témoignages : « On a pu toucher un plus grand territoire [qu’un CPAS], insiste Fabienne. Qui garde une certaine identité, on est quand même sur du rural, on est cohérents au niveau du territoire. Je pense que la taille et l’objectif d’un GAL était l’idéal pour ce genre de projet. […] C’est un outil relativement coûteux, et on a profité d’un appel à projets du Ministre Collin à l’époque, qui s’appelait « C’est ma ruralité », nous avons eu un subside de 2500€ qui a servi uniquement à l’impression. […] la réalisation a été prise en charge par le GAL, mais on a pu imprimer des beaux outils avec ce subside supplémentaire, qui n’aurait peut-être pas été accessible à d’autres structures. »

Enfin, si Fabienne devait donner un seul conseil à une structure qui voudrait se lancer dans une aventure similaire, ce serait de faire attention au temps que cela prend, notamment au moment de la récolte de parole : « Quand on m’a proposé plein de gens, je n’ai pas su dire « celui-là je ne vais pas le voir », confesse Fabienne. Je voulais au moins une personne par village, mais j’avoue… j’aurais peut-être pu écrémer un peu au niveau de la liste. […] Il y avait peut-être trop de matériel de base pour le résultat final. » Et pourtant, on ne peut s’empêcher de penser que ce temps n’a pas été du temps perdu, tant la richesse des paroles et des réactions que l’outil génère semble le fruit de longs mois de réflexion et de contact avec nos aînés.

Et pourtant, cet outil était loin d’être prédestiné : les témoignages dont il est issu ont été récolté dans une toute autre optique à l’origine : « C’était, à la base, destiné à une initiative de théâtre action, se souvient Fabienne. Mais voilà, le COVID est arrivé, et a annulé le théâtre. Alors le projet a été reconverti en outil d’animation pour que les témoignages qui ont été donnés par les personnes âges soient pérennes, sur le long terme, et se retrouvent à disposition du public auquel il était destiné, c’est-à-dire, les seniors d’une part et les enfants des 5eme et 6eme primaire d’autre part. »

Ce que Fabienne ne dit pas d’emblée, c’est que c’est grâce à un de ses talents cachés que le projet a pu muer vers un autre support. En plus d’être psychologue et chargée de mission au sein du GAL, Fabienne dessine et fait de la bande-dessinée. Connaissant le talent de Fabienne et face à un confinement strict en mars 2020, le coordinateur du GAL, Xavier Sohet a décidé de lui confier l’illustration des témoignages : « On s’est dits « il faut qu’on agisse » avant que ça ne tombe dans l’oubli, souligne Fabienne. Sachant que l’agenda de la fin de mon projet à cette époque-là était en août 2020 [NDLR : entre-temps le projet a été prolongé jusqu’en 2022 à cause du COVID]. Donc il fallait faire vite. Il fallait vraiment trouver une solution, rapidement. C’était vraiment une improvisation dans l’urgence. Et on a utilisé les ressources qu’on avait c’est-à-dire « je fais de la BD sur le côté » et mon coordinateur m’a dit « Dessine, vite ! », rigole Fabienne. J’ai passé les 4 mois de confinement dur de début 2020 à dessiner à plein temps, vu que dans mon cas particulier, en tant que responsable d’action sociale, mon projet était entièrement arrêté. » Face à une contrainte qui aurait pu aboutir à l’abandon du projet, le Groupe d’Action Locale a donc fait preuve d’une grande résilience pour aboutir à un outil mis en route avec succès à l’automne 2022.

La base de cet outil, cela reste la récolte de paroles qui a eu lieu en 2018, et qui a duré 6 mois. Un temps long, mais qui était indispensable lors de cette étape « parce que justement le but était de ne pas avoir de témoignages superficiels » souligne la chargée de mission. S’il a été relativement aisé d’identifier des personnes prêtes à témoigner car dans les petits villages « tout le monde se connaît » il a fallu prendre le temps de créer du lien « Je sonne à leur porte, ils ne me connaissent pas, rappelle Fabienne. J’ai le style et la tête que j’ai *rires* [NDLR : Fabienne fait notamment référence à ses dreadlocks]. Ça n’a pas toujours été facile. Il a fallu s’installer, prendre un café, faire le tour de la maison, faire le tour du jardin, rester manger avec eux s’il le fallait. Parfois ça prenait des heures et des heures, avant qu’une relation de confiance s’installe. Et que les confidences, leur vie, sortent. »

Évidemment, un projet d’une telle ampleur a forcément connu des difficultés. Outre le COVID, la principale difficulté identifiée ? « Le plus difficile a été le temps. Parce que voir ces personnes, voir 50 personnes, c’est 50 jours de travail quasiment. Plus la retranscription, épurer toutes les redites, anecdotes, … » Sur 200 pages données aux actrices, ce sont 40 minutes qui ont été transformées en pièce de théâtre : « On n’a pas, évidemment, l’intégralité de ce qui a été dit, regrette Fabienne. […] Je me suis retrouvée un peu seule au niveau des confinements pour trouver qui avait le droit de passer à la « postérité » et ce qui passait aux oubliettes. Et ça a été assez douloureux à ce niveau-là, parce que toutes les paroles étaient toutes aussi méritantes, mais il a fallu choisir. L’outil n’aurait pas fonctionné avec 600 images. » Ce sont au final 12 images, qui reflètent ces heures de témoignages.

Moralement et physiquement ça fait du bien. Cela fait 37 ans que je travaille, et là je suis à l’arrêt complet, donc cela me fait du bien.
Corine

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Ce projet est possible grâce au financement du FEADER, notamment à la Mesure 19 – LEADER (GAL Pays des Tiges et Chavées) du Programme wallon de Développement rural, co-financée par la Wallonie et l’Europe.

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